Aperçu Vermine

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Cryofluid
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Aperçu Vermine

07 févr. 2013, 13:24

Nouvelle extraite du livre du meneur.

L'étranger
A cet instant précis, alors que la vermine se faufile entre mes jambes, ce n’est pas cette terreur formidable qui me glace le sang, c’est surtout cet indicible sentiment de honte. Pourtant, nul ne me condamnera pour mes erreurs, car tous ceux qui savent sont morts. Ou du moins je l’espère... Je n’entends plus les bruits horribles que ces organes inhumains produisent. Seuls les cris déchirants de mes camarades abandonnés résonnent à présent dans mon esprit.

C’était deux ou trois jours après la venue de l’étranger. Il était seul. Comme d’habitude, nous nous en sommes méfié lorsqu’il s’est présenté devant les portes blindées de notre bunker, à moitié enseveli dans la terre lourde et humide. Ce bunker était notre raison d’être : sans lui, nous n’étions que des proies, nues et faibles. Les anciens ont eu la chance de mettre la main sur cet abri anti-atomique scellé depuis longtemps, construit pour les soldats d’une armée oubliée. Leurs cadavres s’y trouvaient encore, tout secs et poussiéreux. Les impacts de balles laissaient à penser qu’ils avaient dû livrer leur dernier combat ici. Peut-être se sont-ils même entretués, comme des rats affamés. A vrai dire, tout le monde s’en foutait. Désormais, ce n’était qu’une légende de plus.

Vu de l’intérieur, le bunker ressemblait à la carcasse d’un gigantesque animal mort, fossilisé et creusé par le temps. Les squelettes des soldats étaient peut-être les restes digérés de son ultime repas. De l’extérieur, notre abri était virtuellement indétectable, grâce aux filets de camouflage qui recouvraient chaque centimètre carré de béton. Pourtant, un soir, nos guetteurs ont repéré l’étranger. Malgré nos précautions, il avait su nous trouver ; sans doute avait-il suivi les traces de nos véhicules. Par l’une des meurtrières, je l’ai vu avancer lentement. Il devait se douter que le viseur de mon fusil à lunette était braqué sur sa poitrine.

Arrivé à portée de voix, il nous a demandé s’il pouvait rester pour la nuit. Nos règles étaient simples : rien ni personne ne devait entrer sans s’être auparavant soumis aux procédures minutieuses d’inspection et de décontamination. Le régime était le même pour tous, mais cela n’évitait pas les dérapages. L’année dernière, abruti par le manque de sommeil, l’un de nos convoyeurs avait fait une erreur. Cinq hommes étaient morts en moins de dix minutes. On ne plaisante pas avec Eux. Jamais. Nous avons donc discuté longtemps pour savoir si on devait accueillir l’étranger ou le laisser dehors... avec Eux. Finalement, comme il ne semblait pas vraiment dangereux, nous avons accepté de le laisser entrer, sans lui permettre d’aller plus loin que la zone d’accueil. Le gars était bizarre, sec comme un coup de trique, joues creusées et yeux cernés. Il puait la crasse, la sueur, la maladie peut-être. Il y a des vermines qu’on ne peut pas toujours voir à l’oeil nu... Au moindre geste suspect, j’étais prêt à lui loger une balle de gros calibre dans la tête.

Nous nous sommes tout de même détendu un peu lorsque nous avons remarqué qu’il était armé jusqu’aux dents. Forcément, s’il s’était baladé à poil - et qu’il avait réussi à survivre - on se serait vraiment posé des questions. Pas longtemps, faut dire : juste le temps de savoir où il fallait viser pour l’étendre raide mort par terre d’un seul coup. D’une voix fatiguée, il nous a demandé de nouveau un abri pour la nuit. Il nous a expliqué qu’il n’était qu’un messager et qu’il devait rallier une autre communauté, plus loin au nord. Nous les connaissions : il y avait eu quelques accrochages par le passé, au sujet d’un convoi abandonné que nos patrouilleurs avaient récupéré. Depuis, on s’ignoraient soigneusement. Nous avions trop à faire avec ceux qui rampent pour encore s’attirer des ennuis avec ceux qui marchent debout. Prudents, nous lui avons donné des rations et quelques doses de médicaments périmés, mais nous ne l’avons pas autorisé à rester. L’étranger est reparti et je me suis demandé comment il arriverait à s’en sortir, seul dans la nuit. On ne connaissait même pas son nom.

Deux jours plus tard, j’étais encore de garde. Je n’avais pas dormi depuis plus de vingt heures mais je devais remplacer un camarade qui vomissait ses tripes à cause d’une intoxication alimentaire. Il faisait froid ce soir là ; l’arrivée de la bouteille d’eau-de-vie frelatée fut une aubaine. C’était interdit, bien sûr, mais qui le saurait ? L’ambiance était à la détente de toute façon, car le convoi que nous attendions nous avait averti par radio : tout s’était bien passé et ils seraient là d’ici une heure. Trois-quarts d’heure plus tard, les camions étaient en vue. Les portes du hangar se sont ouvertes et ils sont tous entrés. Tous. Même Eux. La fatigue et l’alcool aidant, les procédures de sécurité avaient été trop vite expédiées et aucun d’entre nous n’avait remarqué les choses noires et grouillantes qui s’étaient accrochées sous le châssis des véhicules. L’un des convoyeurs s’est mis à crier en déchargeant son arme automatique au jugé. L’un des gardes qui m’accompagnaient a été tué sur le coup, l’abdomen déchiré par la rafale.

Ces choses grouillantes n’étaient pourtant que des éclaireurs, des leurres destinés à nous occuper l’esprit pendant que les Autres approchaient. L’attaque fut aussi soudaine que meurtrière : profitant de la brèche ouverte dans notre carapace de béton, Ils sont entrés. La communauté était perdue. Le bunker allait être méthodiquement nettoyé de toute vie humaine. Avec d’autres, je me suis enfui pour échapper à ce piège mortel. Je crois que tous les fuyards sont morts. Les insectes ne m’ont pas lâché d’une semelle. J’étais épuisé, et comble de malchance, j’avais perdu presque toutes mes munitions en courant. Deux d’entre Eux étaient sur mes talons. Un tir réflexe fit exploser la chitine de la chose la plus proche, mettant à nu les chairs internes, plus fragiles. La deuxième était sortie de mon champ de vision. Je n’avais aucune chance.

L’étranger me sauva la vie. Son tir détourna l’attention de la créature, juste assez pour que mes balles blindées - les dernières - l’envoient au paradis des cafards. On est resté là, à se regarder en silence, tandis que les Autres reprenaient notre piste. Ce fut lui qui agit en premier, en m’ordonnant sèchement de quitter mon manteau. Au départ, j’ai refusé, à cause du froid mordant. Puis, j’ai remarqué le sang, celui d’un camarade mort sûrement. Il y a des odeurs qui ne trompent pas, des odeurs qui les attirent. Malgré le froid tranchant comme un millier de lames de rasoir, je me suis déshabillé.

Autour de nous, la vermine se rassemblait. Nous n’allions pas nous en sortir. L’étranger ouvrit alors une gourde de métal et m’aspergea d’un liquide nauséabond. J’ai mis un peu de temps à comprendre. Il recouvrit mon visage et mon cou de cette substance grasse et collante, il en imprégna mes vêtements, il m’ordonna d’en enduire mes aisselles et mes parties génitales. Lorsque les premières carapaces luisantes apparurent entre les troncs d’arbres morts, je commençait à comprendre. La vermine nous entourait, marchait vers nous, rampait au-delà de nous. La peur était là, terrible, ancrée au plus profond de mon âme comme un démon froid et gluant. Je pouvais sentir tout le poids de leurs esprits inhumains. Pourtant, aucun d’Eux ne nous attaqua, se contentant de glisser près de nos corps enduits de phéromones sans y prêter attention. Nous étions parmi Eux... Nous étions Eux.

Je sais désormais ce que l’on ressent lorsque l’on n’est qu’un étranger.

(publiée le 12/12/2002 par Voodooralph)
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Isanovish
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Re: Aperçu Vermine

08 févr. 2013, 01:43

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Dernière modification par Isanovish le 03 juil. 2020, 19:57, modifié 1 fois.
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Saryekad
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Re: Aperçu Vermine

27 déc. 2013, 12:16

Raaaaaaaah je suis en manqueuh !!!

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